L’art contemporain dépeint souvent l’actualité. Parfois de manière critique, il met en lumière les lacunes de la société afin de nous pousser à faire toujours mieux. À la lumière des événements récents, le mouvement #Blacklivesmatter s’est inscrit dans l’histoire. Singulart a interrogé cinq de ses artistes, afin qu’ils partagent avec nous leurs réflexions sur le sujet.
Saleh Lo, de Mauritanie
Comment ce mouvement vous a-t-il influencé dans votre travail et en tant qu’artiste ?
Je connais le mouvement #Blacklivesmatter depuis la mort de George Floyd tué par un policier à Minneapolis (bien que j’ai réalisé que le mouvement existe depuis 2013). En collectant des informations sur le mouvement, j’ai découvert qu’il y avait des similitudes entre les fondamentaux du mouvement et les questions que j’aborde dans mon travail. Je donne en effet la parole à ceux qui n’y ont pas le droit et qui sont en minorité.
George Floyd a dit à plusieurs reprises « Je ne peux pas respirer, je ne peux pas respirer ! ». Comme lui, encore beaucoup de gens aujourd’hui n’ont pas le droit à la parole. Ils ne peuvent pas exprimer leurs droits, ils n’ont pas l’égalité des chances. Ils ne vivent pas en liberté parce qu’ils sont soumis à quelqu’un qui pense avoir le droit de les maltraiter, physiquement ou psychologiquement.
Ainsi, je tente de représenter dans mes portraits ces injustices. Je peins des descendants d’esclaves, des esclaves, des enfants de la rue, ainsi que des personnes oubliées par la société. Tout comme le portrait de George Floyd, ils donnent la parole à toutes ces personnes qui sont soumises à une violence injustifiée en raison de leur couleur de peau.
Malheureusement, je pense que le mouvement #Blacklivesmatter est la preuve que la discrimination et le racisme sont encore des problèmes bien présents au sein de notre société. En tant qu’artiste et personne noire, j’ai senti que je devais m’impliquer dans ce mouvement avec la peinture.
Quels changements aimeriez-vous voir dans le monde de l’art à la suite de cela ?
Les artistes peuvent jouer un rôle important, voire fondamental dans notre société. La multiplication des expositions et des collections d’art sur le sujet #Blacklivesmatter m’a apporté la preuve que les artistes peuvent éveiller la conscience des sociétés et qu’il est de plus en plus nécessaire de traiter des questions polémiques actuelles. Ce que je souhaite comme conséquence ? Un renforcement de la collaboration et des réseaux d’artistes dans le monde entier sur d’autres problèmes encore présents dans notre société, mais trop souvent oubliés.
Ayoola Gbolahan, du Niger
Comment le mouvement Black Lives Matter vous a-t-il influencé dans votre travail et en tant qu’artiste ?
Il met l’accent sur la résilience des personnes de couleur, mais souligne pour moi la nécessité d’une renaissance en opposition au récit et à la vision dominante du monde anglo-caucasien. Actuellement, mes images sont sombres. Je pense qu’il est nécessaire de produire et de promouvoir un art qui nous rapproche d’une société égalitaire. Je peins des contrastes avec l’utilisation de couleurs comme le noir, le blanc et le gris, avec des reflets bleus et dorés, dans le but de capturer cette ambiance pleine de controverses.
Quels changements aimeriez-vous voir dans le monde de l’art à la suite de cela ?
Bien sûr, j’aimerais voir la création de plus d’institutions artistiques égalitaires. Je m’intéresse au retour des artefacts pillés qui ne sont pas seulement de belles images, mais qui font également passer un message spirituel. Ce sont des reliquaires de notre histoire ancienne qui agiraient comme une sorte de catalyseur, si les descendants des artistes originaux les regardaient.
Que voudriez-vous que les autres en retirent ?
« Le mal fait partie du monde et n’a pas de fin. » L’abus de pouvoir et l’exploitation des autres sont une condition humaine naturelle. Soyez sans regret et prenez conscience que tout ce que nous choisissons de prendre pour nous est un droit qui ne sera jamais facile à obtenir.
Courtney Minor, des Etats-Unis
Comment ce mouvement vous a-t-il influencé dans votre travail et en tant qu’artiste ?
Les événements récents aux États-Unis ont influencé mon travail, mais d’une manière différente de ce que certains pourraient penser. Ils ont fait resurgir de nombreux souvenirs du passé où je me sentais en infériorité, parce que j’étais une femme noire. Cela m’a rappelé toutes les fois où l’on m’a traitée différemment, ou bien lorsque l’on m’a dit que j’étais « culturellement différente ». Je me suis souvenue de toutes les histoires et de tous les visages douloureux de mes proches qui ont souffert pendant le mouvement pour les droits civils. Les atrocités de la ségrégation, l’exclusion due au colorisme, la nécessité constante de travailler trois fois plus dur juste pour être vu… tout cela a fait boule de neige avec les événements récents. Mes émotions étaient décuplées. J’avais envie de pleurer, de crier et de rire de manière hystérique tout le temps. Dans ces moments, j’ai donc décidé de transférer mes émotions et mon énergie sur la toile la plus proche.
Quels changements aimeriez-vous voir dans le monde de l’art à la suite de cela ?
J’espère pouvoir effacer les stéréotypes et les préjugés inconscients, longtemps enfouis dans toutes les mentalités des habitants de cette planète. Nous pourrions tous vivre en paix les uns avec les autres en appréciant ce melting-pot qu’est l’humanité, si nous ne nous divisions pas constamment du fait de nos différences. Je ne suis pas sûre que ce monde va changer, mais si chacun décidait de faire de son mieux pour voir la différence autrement, je suis certaine qu’il pourrait devenir meilleur.
Quel est pour vous le message le plus important que vous aimeriez communiquer aux autres ?
« Soyez à l’aise avec la sensation d’être mal à l’aise. C’est la seule façon de grandir et d’évoluer ».
Temi Wynston Edun, du Niger
Comment le mouvement Black Lives Matter vous a-t-il influencé dans votre travail et en tant qu’artiste ?
La prise de conscience récente des inégalités systématiquement ancrées dans la société, provoquée par le mouvement Black Lives Matter, n’a fait que me rappeler l’importance de rester fidèle au message dans ma pratique d’artiste. Mon travail cherche à élever et à normaliser la culture et le visage des personnes de la diaspora africaine, en étudiant et en mettant en lumière la richesse de la culture et de l’histoire qui s’y trouvent. Ainsi, je me trouve actuellement face à une opportunité où un travail comme le mien est mis en lumière par une société ambivalente et parfois hostile et dédaigneuse des idées qui ne correspondaient pas à une esthétique ou à un récit particulier.
Quels changements aimeriez-vous voir dans le monde de l’art à la suite de cela ?
Cela m’amène bien sûr à vouloir un monde artistique plus inclusif, qui reconnaît et qui promeut une diversité d’idées ainsi que de points de vue.
Que voudriez-vous que les autres en retirent ?
« Mon travail est une affirmation de l’égalité des cultures, du patrimoine et de l’identité noire ou africaine ».
In lieu of a kingdom [circa 1884/85] (2020) 
You Look African II (2020) 
Whitewashed Walls (2019)
Marcarson, des Etats-Unis
Comment le mouvement Black Lives Matter vous a-t-il influencé dans votre travail et en tant qu’artiste ?
Honnêtement, ce « mouvement » n’a pas vraiment influencé mes travaux. Cette nouvelle conscience que tout le monde a développé récemment sur le sujet n’est pas inspirante, puisque cela aurait dû être une chose normale dès l’origine.
Quels changements aimeriez-vous voir dans le monde de l’art à la suite de cela ?
J’aimerais voir plus de respect et d’opportunités pour les POC (personnes de couleur) dans le monde de l’art. Un travail talentueux est ce qu’il est… le dévaloriser parce qu’une personne n’est pas blanche ne devrait plus être accepté ou toléré.
Que voudriez-vous que les autres en retirent ?
Je peux partager une de mes citations favorites qui a inspiré cette série de Tennesse Williams « Une prière pour les sauvages de cœur gardés en cage » .
