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Le point de vue de Gregory Herpe sur sa vie d’artiste en 2020 et la suite

Gregory Herpe

SINGULART a eu le plaisir d’échanger avec le photographe Gregory Herpe. Au cours de cette interview, l’artiste nous a raconté ses projets de l’année 2020, et nous en a dit plus sur ce qui l’attend en 2021. Lisez l’interview ici.

SINGULART Interview de Gregory Herpe

2020 a été une année difficile pour beaucoup. En tant qu’artiste, comment voyez-vous votre rôle dans ces moments difficiles ?

Disons que dans les moments marquants de l’humanité nous pouvons toujours compter sur les artistes pour laisser une empreinte, une trace afin que les générations futures sachent ce que nous avons vécu. David a peint le Sacre de Napoléon, Charlie Chaplin a décrit la brutalité de la Grande Dépression dans son film « Modern Times », et Toulouse-Lautrec dessina le Paris de la fin du 19ème siècle mieux qu’aucun journaliste n’aurait pu le faire. Les artistes sont témoins de leur temps.

En tant qu’artiste et photographe, mon rôle est de regarder autour de moi, et de créer en m’inspirant de ce que je vis, de ce que je ressens, de ce que je vois.

Que signifie la création pour vous ? Cette signification a-t-elle changé ou augmenté au cours de l’année dernière ?

Créer une œuvre photographique est un savant mélange d’instinct et de regard. Il ne s’agit pas de sortir un appareil photo à la main et de prendre des images au hasard. Je dois ressentir des émotions pour les partager ensuite. Si je ne ressens rien en prenant une photo, comment voulez-vous que le public éprouve une quelconque émotion en regardant mon travail ? Créer c’est ça : s’ouvrir et ressentir les choses, puis les raconter à sa façon.

Dans le passé, j’avais souvent abordé l ‘histoire mais par un autre angle; celui de l’oubli. J’ai photographié les soldats de l’I.R.A. à Belfast, alors que tout le monde pense que cette guerre est terminée depuis longtemps. Avant ça, j’ai photographié les espèces en voie de disparition, les lions, les gorilles, en Afrique, dont on se préoccupait trop peu ( les choses changent heureusement), etc. J’aime généralement parler de ce que notre société ne voit pas, ou plus, ou pas encore.

En 2020, toutes mes expositions solo ont été annulées ou reportées à « plus tard »… Mes conférences sur la photo aussi. Heureusement, j’ai eu la chance de faire une résidence d’artistes aux Pays-Bas au mois de mai et peut-être pour la première fois, j’ai décidé de travailler sur un sujet vraiment d’actualité : le Coronavirus.

J’ai donc réalisé une série de 52 portraits masqués en noir et blanc et gris, d’enfants, d’hommes et de femmes. L’idée de départ était de faire des masques originaux protégeant du virus mais très vite, j’ai trouvé plus intéressant d’élargir le thème, et de faire d’autres masques, ceux qui protègent ou nous cachent de nos peurs, nos phobies, nos addictions, nos démons, ou notre profonde personnalité. C’était très enrichissant et je pouvais continuer de travailler grâce aux masques !

Ce projet m’a gardé debout toute l’année car je ne sais pas ce que je serais devenu sans lui ; fou sans doute.

Avez-vous eu l’occasion de montrer vos travaux ? Quels étaient-ils et comment ont-ils été exécutés ?

 Justement, oui ! Miracle de l’art, ce travail réalisé en résidence d’artistes fut exposé dès l’été dans de belles expositions collectives parlant de la pandémie, au Musée Hilversum (Pays-Bas), au Musée Beaney de Canterbury (Angleterre), puis à Paris, et je viens de publier le livre de ce travail « A Coronew World » que je vends sur mon site internet et que je serais heureux de dédicacer à tous les acheteurs !

J’ai aussi eu l’opportunité d’exposer mes photos d’Azerbaïdjan au Center of the Mediterranean Architecture lors du Chania International Photo Festival, en Grèce, puis j’ai fait le ArtMuc Art Fair à Munich, et deux autres expos collectives au Portugal et en Norvège. Comme je le disais précédemment, mes expos solo ont toutes étés repoussées à 2021 et 2022, mais je m’en sors bien quand même.

Et puis j’ai eu beaucoup de publications dans la presse aux Pays-Bas, en France, en Grande-Bretagne, ce qui est important pour ne pas perdre le lien avec mon public et mes collectionneurs.

Heureusement, l’année 2021 semble être un peu mieux ! Qu’attendez-vous le plus de l’année prochaine ?

Ce que j’attends de 2021 ? Une grosse accélération ! Nous étions au ralenti pendant un an et ça continue actuellement, alors je veux exposer et travailler trois fois plus qu’en 2020.

L’an dernier, j’ai débuté une nouvelle série sur les Drag Queens en Europe, et je suis allé en photographier à Amsterdam, Helsinki et Paris. Je veux continuer ce projet dans d’autres capitales européennes et montrer ces artistes sous un angle plus émotionnel. En mai et juin, je fais une expo solo organisée par la Mairie de Paris, dans le 17ème arrondissement et j’en attends beaucoup car j’ai besoin de me confronter à nouveau seul face au public, et puis j’ai le projet d’une grosse expo solo à l’Orangerie de Chamarande, à côté de Paris (Marina Abramovic, Ben, Philippe Pasqua y ont été exposés…).

J’ai aussi des projets à l’étranger. J’ai beaucoup réfléchi à ce qu’est ma place dans ce monde. J’ai vécu dans plusieurs pays différents, les deux dernières années aux Pays-Bas, et je me suis réinstallé à Paris depuis 6 mois et pourtant je sens profondément que ce n’est pas ma place ; ni Paris, ni Amsterdam, ni Londres…

Ma place est dans le mouvement, entre deux avions, sur un ferry en mer Baltique, sur un chemin de terre au Cambodge, ou en traversant la frontière entre la Tanzanie et le Kenya. 2020 m’a empêché de voyager autant que je l’aurais voulu, pour faire mes photos mais aussi pour ressentir le souffle de ma vie.

Je dois retrouver ma place en 2021, dans ce mouvement qui m’inspire et fait battre mon cœur.

Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez communiquer à d’autres artistes ?

Je ne sais pas si j’ai quelque chose à dire aux artistes. Nous sommes tous différents. Nous réagissons différemment aussi, dans les moments heureux ou dans la difficulté. Je crois que toute cette crise doit nous servir à prendre le temps de réfléchir à ce que nous voulons vraiment, à nous recentrer sur l’essentiel, à ce qui nous tient debout. J’ai toujours été artiste et je n’ai jamais rien fait d’autre. Cela veut dire que j’ai fait beaucoup de sacrifices aussi, parce que ce chemin est dur. Mais qu’importe, je ne peux ni ne veux vivre autrement.

Il ne faut rien lâcher, ne jamais abandonner, même pendant cette période si compliquée car demain n’existe pas ! Demain est à créer et nous y apporterons tous notre rime.

Que le prodigieux spectacle continue et que tu peux y apporter ta rime…

Walt Whitman

Quelle sera votre rime ?