Sara Ricciardi est une designer italienne aux multiples talents qui enseigne le social design à la Nouvelle Académie des Beaux-Arts de Milan (NABA) et travaille dans le domaine du design social et d’intérieur pour des magasins et des hôtels. A travers cette interview exclusive, découvrez l’univers de Sara Ricciardi.
Comment avez vous débuté votre carrière de designer ?
J’ai commencé très tôt. J’étudiais les sciences sociales et la philosophie et ai rapidement ressenti le besoin de donner corps à mes pensées. Je souhaitais traduire la compréhension et l’interprétation que je faisais de mes études dans un langage matériel et à travers la conception.
J’ai ainsi commencé à étudier le design de produits à Milan à la Nouvelle Académie des Beaux-Arts. J’étais très attachée aux objets et voulais étudier leurs matériaux et formes. Puis je suis partie étudier en Turquie et à New-York, où j’ai pu apprendre de mes erreurs. Il faut aussi passer par cette étape où l’on se trompe au début. J’ai par la suite ouvert mon studio il y a 6 ans, où j’ai d’abord travaillé sur la conception d’objets avec de créer des installations et décors. A présent, petit à petit, mon travail évolue vers le design d’intérieur et la conception d’espaces.
J’enseigne également le design social et relationnel à la NABA. Je me concentre sur la manière de créer des projets urbains en collaboration avec des communautés qui deviennent pleinement actrices du projet.

Comment définissez-vous la conception relationnelle ? Quel rôle joue-t-il dans votre carrière ?
Avec mon studio, nous avons créé des espaces de jeux et travaillé sur des projets dans les quartiers populaires. Nous avons également créé un magazine appelé Popular Habitat qui a été traduit en anglais. C’est un magazine qui présente des maisons célèbres de Milan, et je travaille avec des étudiants tout au long de l’année pour essayer de créer des espaces avec autant de valeur dans les banlieues. Nous travaillons aussi avec la communauté carcérale, créant des expositions, des bâtiments, des vidéos et autres projets avec elle. En fait, nous essayons toujours de créer de la valeur et de sensibiliser les gens partout où nous travaillons. Avec le design relationnel, j’essaie d’établir un système de partage entre les communautés.
Je crois profondément à l’architecture participative. Bien sûr, il faut une méthodologie pour donner forme à une idée en tant que designer, mais il faut aussi solliciter la ville et les gens. Finalement, vous construisez un projet avec et pour la communauté.

Comment votre approche du design relationnel influence-t-elle votre pratique du design d’intérieur aujourd’hui ?
Tous les domaines du design que j’étudie s’apportent mutuellement. J’insuffle toujours mes connaissances et mon expertise aux projets que je porte. Peu importe le travail, je fais toujours appel à mon sens du détail, mes recherches sur les matériaux et la conception d’espaces. Il n’y a pas de différence dans mon approche, que je travaille pour une marque de luxe, un bel appartement ou une simple rue. La qualité de mes apports est constante. Ma formation en design de produits et mon travail sur des projets urbains et questions sociales m’influencent beaucoup et me donnent une grande capacité d’écoute. Je suis capable de saisir les attentes des gens, ce qui me permet d’entrevoir rapidement la façon dont je vais concevoir leur intérieur.
Dans tous mes projets, je souhaite avant toute chose mettre en valeur l’identité des gens. Nous sommes habitués à suivre les tendances, mais pour moi, la meilleure chose à faire est de trouver ce qui vous plaît et votre propre identité. Lorsque je conçois un intérieur, je me concentre sur l’identité de la personne tout en m’assurant que l’espace répond aux besoins spécifiques du client. Je pense que concevoir l’intérieur d’une maison est aussi un type de design social parce que vous traitez avec des personnes, des besoins et des attentes différents et que vous finissez par faire le travail ensemble aussi.

Où puisez-vous votre inspiration ?
Partout, surtout chez moi, dans mon appartement. J’ai beaucoup de livres, j’en lis énormément et je vis beaucoup de vies grâce à eux. Ils m’offrent la possibilité de rêver à travers leurs pages incroyables. En même temps, j’aime sortir et me promener, sans but et en contentant d’observer.
Pourriez-vous décrire votre processus créatif ?
Il y a tellement d’inspiration autour de nous, il suffit de s’en saisir. Une fois que j’ai saisi quelques idées, je note tout dans mon carnet. J’aime travailler avec les mots d’abord, puis je les assemble et je trouve une nouvelle histoire à raconter. À la fin, c’est toujours l’histoire qui compte. Tout ce que vous créez est de la poésie.
Sur quel projet travaillez-vous en ce moment ?
J’ai de nombreux projets en cours en ce moment. Je suis en train de créer mon nouvel atelier et je travaille pour un collectionneur italien vivant en France pour un projet encore confidentiel. Je suis également en train de concevoir l’intérieur d’une boutique de cosmétiques qui ouvrira à Milan l’année prochaine.
Je suis également directrice artistique du projet « La Grande Bellezza – The Dream Factory » pour le groupe Starshotel. Il s’agit d’un projet de mécénat en faveur de l’artisanat italien haut de gamme. L’année prochaine, je me concentrerai davantage sur la décoration d’intérieur, où je veux vraiment combiner scénographie et design d’intérieur, pour avoir une vraie vision d’ensemble et créer une atmosphère singulière pour les intérieurs.

Quel était l’un de vos projet les plus intéressants ?
L’année dernière, pendant la semaine du design, j’ai travaillé pour une entreprise française, Serge Ferrari, que j’adore, à Lyon. C’est une des plus grandes marques de textile et de meubles d’extérieur. J’ai créé l’Ile de Serge, où j’ai voulu dénoncer nos modes de consommation et interroger l’utilisation que l’on fait des produits et matériaux à long-terme. C’était génial de pouvoir travailler sur un tel projet.
Quel est votre mouvement artistique préféré ?
L’art vient en réponse à l’époque à laquelle il se développe. Aujourd’hui, je suis très intéressée par les arts performatifs et les arts relationnels, et la façon dont on peut créer de l’art avec l’action des gens.
Selon vous, comment l’art et le design sont-ils liés ?
Tout est lié à l’art. L’art dépend du niveau de maîtrise. Peu importe qui vous êtes, artiste ou non, si votre maîtrise est stricte et établie, alors votre message, vos intentions et votre façon d’être votre propre personnage est de l’art. Vous pouvez être un artiste, n’importe qui peut être un un artiste, de la même manière que tous les artistes ne sont pas des artistes.

Un moment important de votre carrière ?
Mon projet de thèse. Avant cela, j’étudiais mais ne créais pas. Puis, pour ma thèse, tout s’est enchaîné. J’ai trouvé mon inspiration et mon identité dans les gens, les histoires et les formes. C’était le premier projet pour lequel j’ai pu produire quelque chose et cela m’a ouvert la porte du design. A partir de ce moment-là, tout a pris un sens et la marche à suivre est devenue claire. Je savais ce qu’on attendait de moi et d’autres personnes ont pu comprendre aussi ce que je voulais faire. Mes parents par exemple, ont compris ma créativité et mon cheminement.
Le sujet de ma thèse était la nourriture. J’ai écrit 7 histoires d’une pause café, interviewé 7 personnes différentes et j’ai construit les histoires à partir de ces éléments. J’ai créé 7 objets sur leurs relations à la nourriture. Pour moi, il s’agissait du premier projet qui portait ma signature.
Quel est votre plus grand rêve en tant que designer ?
J’aime l’approche pédagogique du design, et j’aimerais apporter mes réflexions sur le design au système éducatif pour contribuer à sa refonte. Construire une réflexion sur la façon de concevoir les écoles, leurs architectures et les outils que nous utilisons pour étudier l’histoire, la philosophie et les mathématiques. Le système éducatif m’intéresse beaucoup, il construit notre vérité et nos interprétations des faits historiques. J’aimerais travailler dans ce domaine de recherche.
