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Rencontre avec Jo Ellison Fashion Editor du Financial Times

Auteur du livre Vogue: The Gown et rédactrice en chef de la rubrique mode et luxe How to Spend it du Financial Times, Jo Ellison nous encourage à trouver la beauté dans la vie.

En 2008, Jo Ellison a travaillé un certain temps au British Vogue avant de reprendre le post de Vanessa Friedman au Financial Times. Ses chroniques pleines d’esprit lui ont valu une audience mondiale auprès des grands leaders de l’industrie de la mode et des amoureux des catwalks.

Singulart a eu la chance de la rencontrer pour un entretien exclusif. Jo Ellison a répondu à nos questions concernant l’intersection des mondes de l’art et de la mode. Découvrez dès à présent cette icône.

Que faut-il savoir sur vous et votre carrière ?

Je m’appelle Jo Ellison, je suis rédactrice en chef de How to Spend It, le supplément hebdomadaire du Financial Times consacré au lifestyle, et ancienne rédactrice mode du Financial Times, pour lequel je travaille depuis 2014. Précédemment, j’ai aussi travaillé pour le British Vogue en tant que directrice des chroniques et avant Vogue, j’ai travaillé à The Independent en Irlande.

À l’université, j’ai avant tout pris des cours d’histoire tout en étant rédactrice en chef de plusieurs projets. Je suis accidentellement tombée dans le journalisme de mode grâce à mon poste chez Vogue. J’y ai énormément appris sur la mode, son histoire, toutes les techniques des shootings et j’ai surtout compris que Vogue était bien plus qu’un simple magazine puisqu’il touchait à tous les aspects de la création.

Cependant, rien ne m’avait préparée à mon arrivée chez Financial Times. Je me suis soudainement retrouvée propulsée au premier rang des plus gros scandales de l’industrie de la mode, tout en faisant des reportages des défilés et rédigeant des articles sur les plus grosses affaires du marché de la mode et ses nouvelles tendances. C’est pour ça que je dirais aujourd’hui que j’ai véritablement appris ce qu’était la mode lorsque j’ai commencé à travailler dans ce milieu.

Quel est votre plus beau souvenir en tant que rédactrice mode ?

Avoir la chance de pouvoir assister à des évènements exclusifs, rencontrer des grands créateurs et des personnes aux parcours intéressants, assister aux défilés les plus fous de chaque saison et être témoin des créations les plus extravagantes. Je n’ai pas forcément de souvenir préféré, mais celui qui me vient à l’esprit maintenant c’est lorsque j’ai dû garder mon dictaphone sous le nez de Miuccia Prada pour obtenir la citation parfaite sur le défilé passé pour mon article, à l’arrière d’une voiture en route pour le prochain défilé, tout en portant une tenue complètement folle. C’était vraiment un rush d’adrénaline incroyable.

Que dites-vous à ceux qui pensent que la mode n’a pas d’importance ?

Je dis ce que répète un grand nombre d’entre nous, si les vêtements n’avaient aucune importance, pourquoi ne sommes-nous donc pas nus ? Nous portons des vêtements car c’est un besoin nécessaire avant tout. Puis, petit à petit, ils peuvent devenir une métaphore, un moyen de communiquer. Nous nous exprimons tous à travers nos vêtements, ceux qui prétendent ne pas se soucier de ce qu’ils portent s’expriment finalement souvent le plus. Sherlock Holmes pouvait décortiquer le caractère d’une personne en quelques secondes en l’observant simplement de loin.

Je pense que la logique de Conan Doyle, qui dit que les vêtements ne reflètent peut-être pas forcément notre âme (sauf si vous êtes un prêtre) mais plutôt le caractère, l’ethnicité, la politique, la confiance et la personnalité d’une personne, est très vraie. Ne pas prêter attention à la façon dont quelqu’un s’habille est pour moi, une occasion perdue de mieux comprendre cette personne.

Crédits : Elle.fr

Comment l’art influence-t-il votre travail ?

Les arts visuels ? Ou la créativité en général ? En tant que rédactrice en chef, je passe véritablement des heures à regarder des images, des photos et à discuter de ces images, à les commander et à débattre du contenu visuel. Je ne dirais pas que mon contenu visuel soit un art en tant que tel, mais ca reste un travail créatif enrichissant et stimulant. Evidemment, l’art constitue des références culturelles que j’utilise tous les jours dans mon travail. Les œuvres d’art et l’artiste en tant que tel sont une source d’inspiration constante dans le monde de la mode.

Quel est votre artiste préféré ?

Mon dieu, j’en ai tellement. Picasso, Matisse, Le Caravage, Irving Penn, Hammershoi, John Stezaker, Gerhard Richter, Agnes Martin, Ben Nicholson, Barbara Hepworth. Je suis récemment allée voir l’exposition Lynette Yiadom-Boakye au Tate et j’ai adoré la tendresse de ses portraits.

J’aime beaucoup la photographie. Récemment, je suis devenue obsédée par le travail de la défunte photographe documentariste Tish Murtha (son travail me donne des frissons). Et puis j’ai des amis, des artistes moins connus comme Joanna Whittle et le sculpteur et artiste Kevin Canon, du Nouveau-Mexique, dont le travail est un véritable miracle.

Que pensez-vous de la digitalisation du monde de la mode ? Que pourrait-elle apprendre au monde de l’art ?

Comme dans tous les domaines créatifs, je pense qu’il s’agit de fusionner le virtuel et le physique en une expérience qui peut vous toucher émotionnellement. Il faut aussi que vos sens soient transportés quelque part au-delà de l’écran. En fait, je pense que certains des créateurs en ligne font un excellent travail pour créer un monde qui vous fait acheter et commander en ligne, qui n’est bien sûr qu’une facette de l’industrie mais qui est néanmoins intéressante. L’évolution du marché numérique a été fascinante.

Actuellement, je suis particulièrement fascinée par ce qui se passe sur le marché secondaire avec les sites et les applications tels que Depop, Vestiaire Co, etc. J’aime la façon dont une nouvelle génération de consommateurs absorbe, apprend et adopte la mode pour elle-même. On pourrait dire que les mêmes thèmes qui influencent la mode – jeunesse, nostalgie, redécouverte, memes, achats basés sur l’influence, non-occidental, local – se retrouvent également dans le monde de l’art. Malgré les algorithmes redoutés, la génération Z cherche l’indépendance et l’authenticité. J’aime le fait que les nouvelles tendances viennent avant tout des jeunes et non pas des leaders de cette industrie si puissante. Ou peut-être que je me trompe et que c’est plus discret que ca.

Est-ce que la mode est un art selon vous ?

Si vous parlez d’un vêtement qui est une marchandise, fabriqué en masse, alors non, ce n’est probablement pas vraiment une œuvre d’art. Mais si vous regardez le sur-mesure, des pièces uniques faites mains, pourquoi ne pas appeler cela de l’art ? J’ai pu voir des défilés qui étaient pour moi des installations artistiques au même titre que des expositions. J’ai vu des robes, fabriquées par les mains d’une dizaine d’artisans, qui étaient des véritables chefs d’œuvres d’artisanat, de compétence et de pur génie visionnaire. La mode peut être artistique tout comme des objets de la consommation de masse peuvent devenir des œuvres d’art. Regardez le succès de Nike. Ma fille a récemment reçu une paire d’Air Max rare et elle traite sa paire comme si c’était un tableau de Rembrandt. Qui suis-je pour lui dire que ce n’est pas de l’art ?

Dans votre chronique « How to spend it », vous expliquez à vos lecteurs comment dépenser leur argent intelligemment. Que diriez-vous aux lecteurs qui souhaiteraient acquérir une oeuvre d’art ?

Je n’ai pas de conseils parfaits mais si vous avez le privilège de pouvoir acquérir une œuvre d’art, vous devriez acheter une œuvre qui vous fait vibrer, parce qu’elle stimule quelque chose en vous ou vous met de bonne humeur. Ecoutez votre instinct, soyez indépendant. Est-ce que cette œuvre vous dit quelque chose ? Super. Alors achetez là, accrochez là à votre plus beau mur et aimez là.

Si vous avez le privilège de pouvoir acquérir une œuvre d’art, vous devriez acheter une œuvre qui vous fait vibrer, parce qu’elle stimule quelque chose en vous ou vous met de bonne humeur !

Crédits : Elle.fr

Quel est votre souvenir préféré d’un moment où l’art et la mode se sont croisés ?

Tous les défilés d’Alexander McQueen, vraiment extravagants, étaient d’un niveau supérieur lorsqu’il s’agissait d’avoir une vision artistique. Et encore, je n’ai jamais pu y assister en personne, seulement via des images ! Idem pour les défilés de Balenciaga sous la direction de Nicolas Ghesquière. Pour moi, les plus grands moments de croisement entre ces domaines ont été ces moments dans la photographie où prendre quelques photos de mannequins lors d’un shooting pour gagner un peu de sous finit par créer un énorme buzz dans le monde de la mode et transforme les perceptions en mettant en avant un nouveau point de vue créatif.

Par exemple, tout ce qu’Avedon a filmé, les récits de voyage épiques de Norman Parkinson, le tournage de « young idea goes west » de David Bailey à la fin des années 60 qui a démocratisé la mode en lui donnant un côté plus réaliste. Ou encore les images exquises des top-modèles de Peter Lindberg au début des années 90. Ou les premières photos de Kate Moss de Corinne Day. Ou les photos de Stella Tennant de Steven Meisel. Elles sont devenues emblématiques d’une époque – et d’un moment précis dans le temps. Et on peut dire qu’elles sont aussi puissantes, influentes et « précieuses » que n’importe quelle œuvre d’art contemporain d’aujourd’hui.

Quelle est une œuvre d’art que tout le monde devrait connaître, selon vous ?

Aucune idée ! À chacun son coup de coeur.

Quel est votre projet de rêve ?

Je n’en ai pas, mais de travailler avec n’importe qui ayant une vision inspirante et une personnalité forte reste ce qui m’inspire le plus tous les jours.

Crédits : Elle.fr

Un conseil pour les jeunes créatifs hésitant à se lancer ?

Travaillez, travaillez, travaillez. Appelez, appelez, appelez. Ne vous découragez pas si ce n’est pas tout comme l’espériez, laissez le temps faire les choses. Essayez, peu de personnes peuvent se permettre d’être exigeantes au début d’une carrière, toute expérience est bonne à prendre.

N’ayez pas peur de vous mettre en avant. Imposez-vous, faites-vous entendre, mais écoutez aussi les autres. Si vous êtes attentifs, vous apprendrez beaucoup très vite.