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Entretien avec Carlos Cabral Nunes : Fondateur et Directeur de la Galerie Perve

Dans le cadre de la prochaine vente partenaire, qui se déroulera du 11 au 28 février 2021, Singulart a eu le plaisir d’interviewer Carlos Cabral Nunes, cofondateur et curateur de la galerie Perve. 

D’où vient votre intérêt pour l’art et pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre parcours ?

À l’âge de 15 ans, j’ai créé, avec quelques amis, un groupe d’interventions culturelles qui proposait et présentait, entre autres, du théâtre, de la poésie, des performances artistiques, de la peinture et de la philosophie. À l’âge de 18 ans, j’ai créé ma propre maison de disques. J’ai ensuite travaillé pour Sony Music et Movie Play, et ai évolué dans le domaine de la musique jusque dans les années 1990. 

Globalement, ma carrière a toujours été intimement liée à l’art, et ce en partie grâce à l’influence de grands artistes avec lesquels j’ai établi de réels liens d’amitié et de fraternité (Artur Bual, Jayme Reis, Ivan Villalobos, Cruzeiro Seixas, Mário Cesariny et Pancho Guedes en sont quelques exemples).

Pouvez-vous nous raconter comment la Perve Galeria a été fondée ?

Perve Galeria est une galerie regroupant en réalité deux entités. Premièrement, elle comprend une association à but non lucratif qui a été créée pour assurer la direction artistique du projet. Ensuite, elle comprend aussi la société Perve Global, créée plus tardivement. 

La création de l’association de la Galerie Perve est née d’un réel besoin. En 1999, alors que je voyageais sur le continent africain avec mon associé, je me suis aperçu que beaucoup d’artistes qui proposaient de nouveaux styles et esthétiques très intéressants souffraient d’un manque de visibilité et de reconnaissance. Au Portugal aussi, ce problème était observable, et nous voulions absolument y remédier. 

Crédits: Perve Galeria

Grâce à ce projet, la demande d’acquisition de telles œuvres d’art a augmenté, c’est donc tout naturellement que nous avons créé la Perve Galeria pour gérer l’aspect commercial de notre initiative et permettre à l’association de bénéficier d’une certaine autonomie financière. 

Quel est, selon vous, le plus de votre travail et de ce qu’il représente ?

Je ne me suis jamais considéré comme un galeriste et je dois vous avouer que j’ai encore aujourd’hui du mal avec cette désignation. Mais, depuis que j’ai endossé ce rôle, j’essaie de l’incarner du mieux que je peux et de conserver un œil critique sur ma propre vision des choses. Souvent, la place accordée aux artistes est marginalisée et secondaire, et le projet de la galerie est de travailler en concordance avec eux pour créer des nouveaux concepts interactifs qui réunissent l’art et le multimédia.  

Au Portugal, nous sommes confrontés à des paradigmes mais enrichis par nos relations et nos liens d’interdépendance, qui prennent une place essentielle dans notre société. Nous sommes un petit pays qui a vu naître pour autant des artistes remarquables. Ce qui est intéressant, c’est que pour sortir du lot, ils doivent se démarquer et montrer leur indépendance. Ils se doivent ainsi d’être extra-ordinaires. Dans le domaine du sport, Cristiano Ronaldo est l’incarnation parfaite de ce paradoxe. En art, Joana Vasconcelos est aussi un exemple de cette singularité nationale. 

Le plus grand défi est de transcender nos frontières nationales et se faire connaître ailleurs. Avec la galerie, nous faisons de notre mieux pour y parvenir avec les moyens qui sont les nôtres. L’idéal serait que des institutions publiques tentent aussi de visibiliser nos arts, mais elles manquent d’agilité pour prendre des décisions rapides comme nous le faisons. 

Il y a de nombreux artistes surréalistes présents dans notre vente partenaire. Comment décririez-vous la ligne artistique de votre galerie ?

En tant qu’association et galerie, nous avons toujours créé des projets artistiques multidimensionnels puisque l’art est holistique. Ainsi, les œuvres d’art qui sont exposées à la galerie Perve se répondent et finissent par côtoyer d’autres projets. 

Pour notre première exposition, nous avions un programme défini. Comme le dit l’architecte Pancho Guedes, “le programme est le prétexte” pour faire quelque chose de l’art. Depuis le début, nous avons veillé à la cohérence de notre ligne de conduite, en évitant de créer des niches et d’isoler des œuvres. L’ensemble de ce projet englobe plusieurs domaines et pratiques artistiques. Nous avons de jeunes artistes, d’autres plus expérimentés, de différentes nationalités, des hommes comme des femmes. Nous n’opérons aucune distinction ni d’échelle de valeur entre eux. J’essaie bien plutôt de faire dialoguer ces artistes de façon très intuitive. C’est ce dialogue que je trouve intéressant finalement. 

Pourriez-vous décrire votre processus de curation ?

Pour travailler avec un artiste, il faut connaître son travail de manière anthologique. Les recherches approfondies, ce que l’on connaît déjà et les mots ne suffisent pas toujours à décrire le travail de l’artiste dans son intégralité. Il existe, en revanche, des œuvres qui parlent d’elles-mêmes et qui donnent beaucoup plus de sens au travail de l’artiste que de simples mots. Ce sont souvent ces œuvres que nous recherchons. 

Nous avons des centaines d’œuvres dans notre collection, mais chacune a été choisie scrupuleusement, avec un important travail de réflexion en amont. Les sélections que nous exposons sont toujours en accord avec les projets de l’association au moment de la mise en exposition. 

Qui a été le premier artiste que vous avez vendu, et quelle vente a la plus comptée pour vous ? 

Notre première vente était une œuvre de Cargaleiro. Ce n’est pas un artiste que nous avons beaucoup exposé par la suite, mais il faisait partie de la première exposition que nous avons organisée. À l’époque, son travail était déjà reconnu et il est donc très logiquement devenu notre première vente. 

Un projet dont je suis très fier est la mise en lumière d’Ernesto Shikhani. Je l’ai personnellement rencontré au Mozambique en 2003, alors qu’il était dans l’ombre de Malangatana, un artiste très important du nouveau régime mozambicain. Grâce à sa volonté de collaborer avec nous et à notre persévérance, nous avons pu donner corps à son œuvre. C’est aujourd’hui une vraie fierté de voir son travail exposé à Serralves, Culturgest, au Centre Pompidou et autres lieux artistiques majeurs. 

Quelle est la relation que vous établissez entre les artistes émergents et les grands maîtres que vous représentez dans votre galerie ?

Lorsque nous travaillons avec un artiste, nous le faisons toujours en étroite collaboration. Ce qui m’intéresse particulièrement, c’est de créer un lien entre les artistes que nous présentons pour proposer un vrai univers dans notre galerie. Par exemple, nous avons mis Cruzeiro Seixas au défi de faire partie d’un projet artistique stimulant qui a abouti à une collaboration avec une artiste chinoise qui n’avait que 10 ans à l’époque. C’était un véritable pari et il s’est avéré payant. En somme, nous voulons précisément être ce lien entre les artistes, les amateurs d’art, les collectionneurs et les autres galeries. 

Comment acquérez-vous les œuvres d’art de la collection Perve ?

Il est rare que nous achetions des œuvres d’art lors de ventes aux enchères. Nous le faisons généralement lorsque cela nous permet de combler un manque, parce que l’œuvre apparaît dans une vente et qu’elle est la pièce manquante pour construire une lecture harmonieuse de notre collection. En général, nous achetons les œuvres d’artistes avec lesquels nous collaborons et que nous promouvons. 

Il y a plusieurs façons de faire l’acquisition d’œuvres. Parfois, on nous propose des œuvres, d’autres fois on les recherche. C’est donc un savant mélange de recherche et de curiosité. Il arrive aussi que des personnes arrivent avec une photo sous le bras à nous proposer, mais que cette dernière ne corresponde pas à notre ligne éditoriale. 

Est-ce que vous avez observé une évolution de la cote des artistes émergents que vous représentez ? 

Généralement, lorsqu’un collectionneur achète une œuvre d’art, il le fait parce qu’il l’aime et non parce qu’elle va prendre de la valeur. Je conseille les collectionneurs en fonction de ce qui peut potentiellement les satisfaire le plus, et le plus longtemps possible. Bien sûr, nous essayons aussi de leur proposer ce qu’il y a de mieux pour eux tout en maximisant leur investissement. Nous avons notamment réussi à le faire en mettant en avant des artistes formidables, d’ailleurs présentés à l’occasion de notre vente partenaire: Ernesto Shikhani, Teresa Balté, Reinata en sont quelques exemples. 

Ma mission consiste aussi à assurer un retour sur l’investissement d’un point de vue purement financier. 

Comment la pandémie COVID-19 a-t-elle affecté le marché de l’art et qu’est-ce que cela a changé pour vous ?

Si l’on met de côté le fait que le COVID-19 soit une tragédie humaine, on peut constater un effet positif global de la pandémie. Elle a, entre autres, permis une mobilisation de tous, a exigé de l’action, de l’information et, enfin, une prise de position claire. 

La pandémie est une opportunité pour développer, dans une certaine mesure, de nouvelles idées. Auparavant, l’essentiel de notre travail consistait à participer à de nombreuses foires internationales (environ une par mois). Quelque part, cette course insensée nous prenait tout notre temps et toute notre énergie. En ce sens, on peut presque dire que la pandémie nous a offert ce temps précieux : nous avons remodelé la galerie, restructuré des projets et envoyé des demandes de financement qui nous permettront à l’avenir de faire des choses extraordinaires.

Certes, d’un point de vue strictement commercial, la situation n’est pas idéale, mais elle ne l’a jamais vraiment été. Le projet dans son ensemble est toujours viable, à nous de voir comment il évolue à présent. 

Comment percevez-vous le rôle du digital dans le marché de l’art ?

La digitalisation du marché de l’art est à mon sens très intéressante. Par le passé, j’ai développé des projets qui liaient l’art et le numérique, car le multimédia permet l’interactivité. Ces projets nous ont d’ailleurs valu plusieurs prix. Nous souhaitons pleinement nous insérer dans le numérique, c’est pourquoi nous avons créé des galeries en 3D et participons régulièrement à des foires virtuelles. 

Quant à la vente d’art en ligne, je pense qu’elle a paradoxalement souffert de la pandémie. Beaucoup essaient de trouver un modèle gagnant, mais à mon avis, nous n’avons pas encore trouvé de formule idéale. Par ailleurs, je reste convaincu que le succès des plateformes d’art en ligne reste très dépendant des réseaux personnels et humains.

Que pensez-vous de ce partenariat avec Singulart ?

Nous avons accepté votre proposition avec plaisir et l’avons envisagée plutôt comme une collaboration entre Singulart et notre association. Le simple fait qu’elle semble augurer des résultats positifs et qu’elle nous soit présentée avec enthousiasme nous donne envie de participer à l’expérience. Cela fait partie de notre esprit associatif.

Quels sont vos projets futurs ?

Nous avons beaucoup de projets en cours. D’abord, nous aimerions lancer une campagne de financement participatif afin de créer une résidence d’artistes à Lisbonne qui comporterait 12 studios. En parallèle, nous avons des projets en attente d’approbation dans le cadre du programme Procultura avec le Mozambique et le Cap-Vert. Nous avons aussi un projet de film et d’art en partenariat avec des organisations grecques et croates. Enfin, j’aimerais également réaliser un film sur Isabel Meyrelles.